Le Circuit ordinaire
de Jean-Claude Carrière
Avec Alexandre Metratone et Érik Hallet
Mise en scène : Alexandre Metratone
Création lumières et régie générale : Bruno Bonnefon
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Un commissaire du gouvernement, chargé de la sécurité intérieure, fait subir un interrogatoire à un dénonciateur.
La conversation évoque les pires heures d’un régime totalitaire. Le délateur, fier de l’être, ne cache pas son plaisir de dénoncer. La pièce nous entraîne ainsi, de l’intérieur, dans la logique impitoyable et finalement absurde de l’activité « ordinaire » d’une dictature, jusqu’à l’extraordinaire retournement d’un processus prisonnier de ses propres mécanismes.
Dans cette société du soupçon permanent, les mots, les actes et les opinions sont tous a priori suspects. Les deux hommes pris au piège dans leurs propres filets se livrent un duel impitoyable. Jean-Claude Carrière nous offre un huis clos au suspense constant où les dialogues sans concession et l’éclatante perversité de cette société viennent heurter nos valeurs morales.
Un polar à l’humour féroce.
« Jean-Claude Carrière décrit les arcanes du pouvoir, la négation de l’individu, l’ambiguïté des rapports de force. Ce monde n’est pas le nôtre, cette époque n’est pas la nôtre. Pourtant, la réflexion sur le rapport entre réalité et fiction qui sous-tend toute la pièce nous renvoie à l’une des caractéristiques de notre époque : la toute puissance des apparences. »
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Extraits
« RAPPORTEUR. Depuis quinze ans, ça marche de la même manière. Dans le circuit ordinaire, en tout cas. Je signale tout ce que j’estime dangereux, ou simplement défavorable, ou suspect. Dès qu’une attitude, un geste, dès qu’une parole me semble aller contre l’intérêt général, je le signale. Je fais comme ça depuis quinze ans. Tout ce que j’ai rapporté n’était pas forcément très grave. Parfois même j’ai pu me tromper, je le sais bien, mais on m’a toujours dit : ce n’est pas à toi de formuler le jugement définitif. Tu rapportes les faits, du mieux que tu peux, et c’est nous, ici, qui décidons. »
*
« RAPPORTEUR. Avez-vous déjà dénoncé quelqu’un ?
COMMISSAIRE. Cela m’est arrivé, au début. Mais je l’ai fait deux ou trois fois à peine. Pour des cas flagrants. Ensuite, j’ai arrêté.
RAPPORTEUR. Si vous vous rapportez à ces débuts, ne vous souvenez-vous pas d’avoir éprouvé un très vif plaisir ?
COMMISSAIRE. En dénonçant ?
RAPPORTEUR. Oui.
COMMISSAIRE. Franchement, non. Je ne m’en souviens pas.
RAPPORTEUR. Ah, c’est dommage. Vous auriez dû persévérer. Vous êtes passé à côté d’un des plaisirs les plus denses, les plus subtils, que notre époque puisse nous offrir. Car d’un côté vous vous situez dans le droit chemin, votre conscience est éclairée, et de l’autre côté, avec un simple stylo, vous décidez du sort d’un tel ou un tel, vous entrez chez lui, vous êtes soudain l’homme invisible, vous observez le moindre de ses gestes et c’est à vous de décider : dois-je rapporter ce que je viens de voir, ou non ? Son sort est entre vos mains sans qu’il le sache. Il est parfois votre collègue de bureau, ou même votre ami, ou votre frère. Ou votre chef. Et vous avez plein pouvoir sur sa personne. C’est un délice, monsieur le commissaire. Le monde s’ouvre à vous comme une fleur secrète. »